Du « bé de cane » à l'automoteur
Différents bateaux se sont succédé sur le canal de Berry. Tous avaient des dimensions maximales réduites (entre 24 m et 27,33 m de longueur et entre 2,33 m et 2,47 m de largeur) leur permettant de franchir les écluses étroites, dimensions bien éloignées de celles des bateaux des autres canaux français à l’origine du gabarit Freycinet (38,5 m x 5 m).
Au second plan de cette carte postale représentant Marseilles-lès-Aubigny où se rejoignent le canal de Berry et le canal latéral à la Loire, on aperçoit deux péniches dont la largeur est bien plus importante que la berrichonne se trouvant au premier plan.
Seul le « bé de cane » navigue entre 1830 et 1838 sur le canal uniquement relié à la Loire par le Cher. Ce bateau, dont le nom provient de sa levée semblable à un bec de canard, est construit par des charpentiers de bateaux de Loire qui associent les caractéristiques du chaland ligérien avec celles du narrow-boat anglais. Le bé de cane, avec un tonnage maximal de 60 tonnes, est tiré par des haleurs ou des ânes en provenance de l’Algérie colonisée. Sa vitesse n’excède pas 1,5 km/h.
À partir de 1838 et du raccordement du canal de Berry aux canaux du Centre, dont l’enfoncement est plus important, des bateaux de « haut-bord », plus hauts et plus lourds, sont construits. Ils permettent le transport de cargaisons d’une centaine de tonnes lorsqu’ils quittent le canal de Berry.
Retranscription d’un extrait de la minute de Monsieur Frottier : « […] Acquéreur à ce présent & acceptant un bateau dénommé la Poule de la dimension des bateaux du Canal de Berry avec tous ses ustensiles & ses agrès, et un âne sous poil noir dénommé Bibiche à queue courte, agé de neuf ans. […] »
La flûte bourguignonne, qui prend son essor à la suite de la guerre de 1870, inspire ensuite les constructeurs : la flûte berrichonne est née ! Cette dernière emprunte des dispositifs de la flûte de l’Yonne, des péniches du Nord puis flamandes. Le tonnage ayant augmenté, des mulets ou des chevaux, plus robustes, sont substitués aux ânes pour le halage.
À partir de la première moitié du XXe siècle, l’automoteur berrichon en métal, conçu sur le modèle de ceux circulant sur les canaux au gabarit Freycinet, fait son apparition.
1. Chaland de Loire. Le chaland, dont la forme a varié au cours du temps, est le bateau le plus utilisé pour naviguer sur la Loire entre le Moyen Âge et la fin du XIXe siècle. S'il est entraîné par le courant lorsqu'il descend ce fleuve, une voile est nécessaire pour le remonter.
2. « Bé de cane ». Il reprend certaines caractéristiques du chaland de Loire comme les arronçoirs (planches taillées situées sur les flancs du bateau et utilisées par les mariniers pour éviter les obstacles), les bordés à clins (planches des flancs du bateau se chevauchant) et le tableau arrière bombé. Lorsque le « bé de cane » est tiré par deux haleurs marchant de part et d'autre du canal, un gouvernail n'est pas nécessaire. Cependant, lorsqu'un ou plusieurs ânes remplacent les hommes au halage, en avançant d'un seul côté du canal, deux raquettes sont ajoutées à l'arrière afin de palier le halage oblique. Une petite écurie est alors également installée sur le bateau.
3. L'« Aramis », flûte berrichonne en bois. Le bordage des flûtes berrichonnes est à franc-bord (planches des flancs assemblées sans chevauchement) et le tableau arrière est plat. La levée caractéristique des « bés de canes » est remplacée par un avant vertical pour faciliter le transport de charges lourdes. Faisant partie des bateaux de type « haut bord », les raquettes de la flûte berrichonne sont donc augmentées et l'écurie est rallongée en comparaison avec les « bés de canes » et les bateaux de type « bas bord ». Le dispositif d'amarrage et de bâches propres à la flûte de
I'Yonne est repris. L'« Aramis » est aujourd'hui conservé au musée du Canal de Berry d'Audes.
4. Automoteur en métal « Allier ». Le bateau « Allier » est l'un des premiers automoteurs à naviguer sur le canal dans les années 1930. Construit à la demande de la société « Desmarais Frères », il circule sur la branche sud depuis Grimouille (Nièvre) et transporte jusqu'à 83 m³ de carburant. Après le déclassement du canal, I'« Allier » est ramené dans le port du Havre pour stocker les déchets des entreprises pétrolières. Finalement, il est racheté par un ferrailleur.
Les devises faisaient référence à des saints, des animaux, des arbres ou encore des monuments comme le « Titanic » ou la « Tour Eiffel ». Certains mariniers ironisaient sur leurs conditions de travail par le biais de ces devises (le « Volontaire Malgré Lui » ou la « Dette Flottante » par exemple).
Si certains berrichons étaient convertis en maisons d’habitation, d’autres encore étaient « déchirés » lorsqu’ils étaient particulièrement abîmés. Le « déchirage » de bateaux signifie le démontage de ceux-ci.
Construit en 1940, le bateau le « Cher » fait partie de la dernière génération de berrichons automoteurs. Bateau-avitailleur pour la société pétrolière Desmarais frères, il a navigué sur le canal de Berry jusqu’en 1952. Il a ensuite été utilisé comme station-essence flottante pour avitailler les bateaux sur la Seine à Paris. Retiré du service en 2006, il est sauvé de haute lutte par l’Arecabe et Navicabe en 2017 pour entamer sa restauration aux chantiers de la Haute-Seine. Il est remis à l’eau, sur le canal de Berry, à Vierzon en 2018 pour poursuivre sa remise en état et en faire un bateau à vocation touristique, culturel et pédagogique. Il a été à ce titre labellisé Bateau d’intérêt patrimonial.
Si dans un premier temps les charpentiers de Loire, actifs jusqu’à Vierzon, ont construit les bateaux du canal, d’autres fabricants, installés tout le long de son tracé, ont ensuite dirigé les chantiers. C’est notamment le cas des chantiers Alabergère et Normandon de Saint-Amand-Montrond, Bassot et Chasset de Dun-sur-Auron, Charbonnier et Latte de Sancoins ainsi que Desmoineaux et Rapeau de Marseilles-lès-Aubigny.
En fonction de l’endroit dans lequel les bateaux sont construits, leur appellation diffère. On parle ainsi de « berrichons », « vierzons » (Vierzon), « dunois » (Dun-sur-Auron) ou encore de « molussons » (Montluçon).
Les bateaux sont produits et réparés dans des bassins mis à sec : les « cales de radoub ». 2 500 à 3 000 heures de travail sont nécessaires à la construction d’un seul bateau.