L'épuration légale à la Libération

Dès 1943, la question du jugement des traîtres lors de la libération de la France est évoquée. Aussi, lorsque les institutions de la République sont rétablies, des tribunaux d'exception sont créés afin de rendre justice de manière légale : les cours de justice et les chambres civiques.

Cette exposition virtuelle permet de découvrir la profusion des documents conservés aux Archives départementales du Cher et tout leur intérêt pour reconstituer l'histoire de cette période où les apparences étaient parfois trompeuses.

Il convient aussi de rappeler la distinction qui est faite entre collaborateur et collaborationniste. Selon Pierre Montagnon, "le premier résulte de la volonté de s'afficher dans le prolongement de la poignée de main de Montoire entre Hitler et Pétain en une action et un travail commun sans contrainte avec l'occupant. Le second va plus loin, en encourageant et promouvant sous une forme politique cette collaboration".

Pour plus de renseignements sur la cour de justice et les chambres civiques (bases juridiques, création, fonctionnement,...), ainsi que pour connaître les documents conservés aux Archives départementales du Cher, vous pouvez consulter le répertoire numérique du fonds 3 W :

Cour de justice et chambre civique (Cher, Nièvre et Indre)

Les cours de justice cour statuent sur les faits révélant "l'intention de leurs auteurs de favoriser les entreprises de toute nature de l'ennemi, et cela, nonobstant toute législation en vigueur". La peine prononcée peut aller jusqu'à l'exécution capitale.

Les chambres civiques ont pour vocation première de juger les cas relevant de l'indignité nationale, qui est punie de la dégradation nationale : "Est coupable d'indignité nationale […] tout Français qui aura, postérieurement au 16 juin 1940, soit sciemment apporté en France ou à l'étranger une aide directe ou indirecte à l'Allemagne ou à ses alliés, soit porté atteinte à l'unité de la Nation ou à la liberté des Français ou à l'égalité entre ces derniers".

Les chambres civiques peuvent aussi prononcer la confiscation de tout ou partie des biens du condamné.

Les suspects sont arrêtés dans les formes par les autorités compétentes, police ou gendarmerie. Le commissaire du gouvernement (l'équivalent du procureur) apprécie s'il y a lieu ou non de mettre en mouvement l'action publique ou de classer certaines affaires sans suites. Mais en plus, à l'issue d'une information menée par le juge d'instruction, il est de sa seule compétence d'apprécier les suites à donner. Il peut ainsi prononcer un non-lieu (arrêt des poursuites pour des motifs de droit) ou un renvoi devant la cour.

Des directives données aux juges d'instruction leur rappellent cette particularité : "Ces magistrats ne doivent d'ailleurs pas perdre de vue le caractère particulier de l'instruction préparatoire en matière de faits de collaboration ; il s'agit en effet bien plus d'une enquête judiciaire que d'une information à proprement parler puisque la décision définitive sur l'instruction n'appartient pas au juge, mais au commissaire du gouvernement. Je crois nécessaire d'insister sur ce point".

Les dossiers ouverts par ces juridictions civiles en France sont au nombre de 311 263, dont 183 512 (soit 59%) ont été classés. Le total des individus jugés s’élève à 124 613, le nombre d'exécutions à 767.

Pour plus de renseignements sur la cour de justice et les chambres civiques (bases juridiques, création, fonctionnement,...), ainsi que pour connaître les documents conservés aux Archives départementales du Cher, vous pouvez consulter le répertoire numérique du fonds 3 W.

Par opposition à cette forme légaliste se déroule l'épuration sauvage, hors de tout cadre judiciaire et légal, essentiellement menée par le parti communiste pour ce qui est des exécutions. Des femmes, près de 200000, sont tondues publiquement pour leurs relations intimes avec les Allemands (mais pas seulement, seule la moitié environ a effectivement eu des relations sexuelles avec l'ennemi). Les collaborateurs, ou présumés comme tels, mais aussi d'authentiques Résistants sont victimes de pillages de leurs demeures, d'extorsions de fonds, de tortures sauvages et d'exécutions sommaires qui viendront ternir l'image de la Libération. Ces règlements de comptes, souvent à connotation politique, parfois motivés par de vieilles rancune ou l'appât du gain, ont fait près de 9000 victimes selon une enquête du Comité d’histoire de la Deuxième Guerre mondiale, menée dans 84 départements.

Intérêts et limites du fond

Pour ce qui est de la nature des documents, les dossiers d'information (affaires jugées ou non-lieu) et les dossiers d'affaires classées sans suite constituent la majorité des documents de ce fonds.

La grande majorité du fonds est constituée des documents provenant de la cour de justice et des chambres civiques.

Pour les tribunaux de la Libération, les affaires traitées sont fort diverses : volontaires pour le travail en Allemagne, relations intimes avec un militaire allemand, adhésion à la Milice ou à un parti collaborationniste, délations, plus rarement collaboration économique, engagement dans une formation militaire ou paramilitaire allemande… Beaucoup de dénonciations se révèlent calomnieuses ou faites de bonne foi au vu d'apparences parfois trompeuses, d'où le classement sans suite (ou le non-lieu). Des affaires sont également classées faute de preuves. D'autres car des Résistants ont fourni des témoignages à décharge en faveur du prévenu.

Comble de l'ironie, on retrouve dans ces dossiers le nom de nombreux Résistants, qui doivent se justifier face à des dénonciations, parce qu’il leur avait été imposé de loger des Allemands ou parce qu’il leur était utile d’en fréquenter pour leurs missions de renseignement. Les apparences peuvent ainsi être trompeuses et aboutir à de tragiques méprises. On trouve donc aussi de nombreux témoignages concernant la Résistance.

A signaler aussi une importante documentation concernant le 1er Régiment de France (3 W 69-82), dont les dossiers d'information concernant le général Berlon (3 W 137-139) et les officiers du régiment (3 W 133-134).

Ce fonds se révèle donc particulièrement riche pour retracer l'histoire de la Collaboration et du collaborationnisme dans les départements du Cher, de l'Indre et de la Nièvre. Au vu des dossiers, le lecteur est ainsi amené à se rendre compte de la diversité de ce que recouvre les termes de Collaboration et collaborationnisme. Diversité qui se reflète dans les jugements prononcés allant de la peine de mort à une simple confiscation des biens, voire un non-lieu quand les circonstances s'y prêtent. La complexité de cette période est ainsi révélée, bien loin d'une vision manichéenne par trop simpliste.

Communicabilité du fonds (article L.213-2 du Code du Patrimoine) : Les dossiers de recours en grâce, les dossiers d'information, les affaires classées sans suite et les pièces judiciaires sont des documents relatifs aux affaires portées devant les juridictions. Ils ne sont communicables qu'après un délai de 75 ans à compter de la date du document ou du document le plus récent inclus dans le dossier, ou après un délai de vingt-cinq ans à compter de la date du décès de l'intéressé si ce dernier délai est plus bref, sauf dérogation. Lorsque les documents se rapportent à une personne mineure, ce délai est de 100 ans.

Toutefois, l'arrêté du 24 décembre 2015 portant ouverture d'archives relatives à la Seconde Guerre mondiale prévoit une dérogation générale destinée à faciliter l'accès aux archives publiques relatives à la Seconde Guerre mondiale. De ce fait, tous les articles de ce fonds sont librement communicables.

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