1856 : le premier archiviste paléographe du Cher
L'Ecole nationale des chartes est née en 1821. Elle a formé 11 des 14 archivistes qui se sont succédés à la tête des archives départementales du Cher depuis 1796 ! Connaissez-vous le premier d'entre eux ? Il s'appelait Charles Barberaud.
L'Ecole des chartes a été fondée par une ordonnance royale du 22 février 1821. Elle visait à former des spécialistes de l'histoire nationale et de ses sources. Les métiers liés à la conservation du patrimoine ont toujours été le débouché naturel de la formation qu'elle dispense. De nombreux bibliothécaires et archivistes ont suivi son enseignement.
Dans le Cher, 11 des 14 directeurs qu'ont connus les archives départementales étaient chartistes, titulaires du diplôme d'archiviste paléographe. Il est à noter - et c'est bien regrettable - qu'aucune femme n'a jamais occupé cette fonction, alors que les premières directrices d'archives départementales ont été nommées en 1949 !
Charles Barberaud est le premier élève de l'Ecole des chartes à devenir archiviste à Bourges. Bien qu'il soit né à Angers le 13 mars 1829, c'est un authentique berrichon : son père a vu le jour à Bourges pendant la Révolution et ses parents se sont mariés à Chezal-Benoît en 1824.
Charles Barberaud baigne dans les archives depuis sa plus tendre enfance : son père Antoine est archiviste du département du Cher depuis 1818. Il n'est donc pas étonnant qu'après avoir fréquenté le lycée de Bourges et obtenu son baccalauréat ès-lettres, Charles entre à l'Ecole impériale des chartes dont il sort diplômé en 1855. Sa thèse porte sur "l'aveu de la partie et la preuve testimoniale sous la première race", c'est-à-dire qu'elle traite du droit de la preuve sous les Mérovingiens entre 496 et 750. En parallèle aux cours de l'Ecole des chartes, il suit les cours de la faculté de droit, ce qui est assez fréquent parmi ses condisciples. Il obtient sa licence avec un mémoire en droit romain et en droit français sur les partages.
D'après son biographe Hippolyte Boyer, qui a travaillé sous sa direction avant de devenir à son tour archiviste du département, Charles Barberaud a été tenté par une carrière judiciaire. A Paris, il s'est produit à plusieurs reprises devant la Conférence Molé, où les futurs avocats ou hommes politiques faisaient leurs armes en débattant sur un sujet d'actualité avec leurs pairs. A Bourges, il s'est inscrit au barreau mais il n'a pas plaidé.
En 1856, Charles Barberaud, après une période de passation de témoin, succède à son père : le département du Cher se met ainsi en conformité avec le décret du 4 février 1850, qui donne le monopole des postes d'archiviste départemental aux élèves de l'Ecole des chartes ou à défaut aux titulaires d'un certificat délivré par une commission établie au ministère de l'Intérieur.
Le directorat de Charles Barberaud est malheureusement marqué par un tragique événement pour les archives départementales. Dans la nuit du 13 avril 1859, un incendie se déclare dans les locaux qu'elles occupent à l'hôtel de la Préfecture. De nombreux documents administratifs collectés récemment, ainsi que de précieux cartulaires provenant des abbayes du Cher et de la cathédrale sont gravement endommagés, voire anéantis. Dans les années qui suivent, Charles Barberaud consacre tous ses efforts à récupérer les archives évacuées des gravats à la va-vite et à reconstituer les parchemins altérés en les restaurant et en les photographiant. Un article paru en 1878 dans les Mémoires de la Société historique du Cher fait la synthèse de ces tentatives. On ne peut s'empêcher de frémir en lisant la description des techniques utilisées, beaucoup plus invasives que celles qui sont aujourd'hui en usage parmi les professionnels de la restauration.
Sans doute très absorbé par les conséquences de l'incendie, Charles Barberaud n'est pas parvenu à publier les inventaires des séries dont il a entrepris le classement avant sa démission pour raison de santé en 1879. Son nom figure néanmoins sur l'Inventaire sommaire des séries A et B des Archives départementales du Cher que fait paraître Hippolyte Boyer en 1883.
Charles Barberaud est aussi connu pour son engagement en faveur du patrimoine. En 1876, il fait paraître une Protestation contre la démolition de l'église des Carmes, sorte de lettre ouverte adressée au conseil municipal de Bourges qui a décidé la destruction de cet édifice médiéval, sur l'actuelle place Cujas. L'archiviste souligne la qualité architecturale du monument, sévère mais rehaussé par de beaux détails. Il plaide pour qu'y soient transférées les collections du musée, alors présentées dans une maison particulière, avec un bail précaire, à l'emplacement de l'actuel hôtel d'Angleterre. Ironie de l'histoire, il conteste au passage l'opportunité d'installer le musée dans l'hôtel Cujas, préférant y implanter la faculté de droit dont il appelle de ses voeux la résurrection à Bourges ! La plupart de ses idées sont reprises et développées dans une nouvelle brochure publiée l'année suivante sous l'égide des trois sociétés savantes locales : la Société des antiquaires du Centre, la Société historique du Cher et le Comité diocésain d'art et d'archéologie. Cette mobilisation érudite reste sans effet puisque l'église des Carmes est démolie en 1878. Un nouvel édifice prend sa place, quelques années plus tard, pour héberger l'Ecole des beaux-arts et des arts appliqués à l'industrie, avant d'être à son tour livré aux bulldozers en 1976. Le réaménagement de la place Cujas est toujours à l'ordre du jour.
Charles Barberaud décède le 23 juillet 1892 à son domicile de Bourges, rue Peschereau, et non dans le domaine familial de Chezal-Benoît où il s'est livré à des expériences agronomiques dans les dix dernières années de sa vie.