Donation de deux tableaux d'or au duc de Guyenne, 1415 (8 G 1452 [TSC 817]).
Original sur parchemin, scellé de cire rouge sur simple queue. 415 x 255 mm. Bourges, Archives Départementales du Cher, 8 G 1452 [TSC 817].
Dossier préparé par Baptiste Dufaud-Chaintron, sous la direction d'Olivier Guyotjeannin et Olivier Matteoni.
1415, 5 juin. – Paris, hôtel de Nesle.
Jean, fils de roi de France, duc de Berry et d’Auvergne, etc., après les avoir reçu de la Sainte-Chapelle de Bourges de la main de son trésorier, Arnoul Belin qu’il décharge de leur garde, déclare avoir donné, le jour du Saint-Sacrement de l’année 1415, à son neveu le duc de Guyenne, deux « tableaux d’or » richement garnis de pierreries (perles, saphirs, émeraudes), dont l’un, représentant une crucifixion, avec la Vierge et saint Jean à côté du Christ, a été acheté à Cendre Billot le 1er janvier 1409 (n. st.), et l’autre, qui figure la résurrection et d’autres scènes de la vie du Christ, a été donnée à la reine à Melun en juin 1401.
- Commentaire paléographique et diplomatique
Plusieurs éléments internes à l’acte permettent de déceler des similarités avec ceux de la chancellerie royale. En premier lieu, on relève une écriture qui, malgré sa cursivité, reste régulière et relativement soignée ; la cursivité amène parfois le notaire à écrire plusieurs mots sans même lever la main, par exemple : « par la main » (l.17). Les interlignes quant à elles se caractérisent par leur régularité, mais sont relativement réduites, signe certain d’un manque de solennité de l’acte. Dans un souci d’empêcher toute falsification, mais aussi pour clore le discours, le secrétaire l’a enacdré de deux tirets (l.1 et l.21), ce qui est conforme aux pratiques de la chancellerie royale. Les deux premières lettres du nom du duc, « Jehan » (l.1), sont capitales. Le manque d’adresse ne doit pas forcément être analysé comme une absence de solennité : l’acte notifie un constat, une déclaration, et à ce titre il ne prévoit pas un public particulier : modeste dans sa forme, il est donc efficace dans son but. La représentation des hiérarchies est respectée : Arnoul Belon est « amé et feal conseillier » (l.2-3), il est question de « madame la royne de France » (l.15-16) et de « nostre tres chier et tres amé neveu monseigneur le duc de Guienne » (l.18).
En second lieu, l’acte débute par la suscription habituelle à la chancellerie ducale, qui développe la titulature du prince. Il débute par la filiation biologique de souche royale (« filz de roy de France »), puis décline les possessions ducales (« duc de Berry et d’Auvergne ») et comtales (« conte de Poictou, d’Estampes, de Boulougne et d’Auvergne »). Mise à part l’absence totale de marge droite, le reste de l’acte se caractérise par des marges relativement importantes, notamment à gauche. La justification à droite permet, avant tout, d’éviter la coupure de mots en fin de ligne. Un intérêt particulier a été accordé au comblement des blancs, comme en témoignent par les tirets en fin de lignes (l.2-l.8-l.13-l.20).
Autre similitude avec les pratiques de la chancellerie royale : les mentions hors-teneur. Le notaire et secrétaire du duc de Berry a apposé sa signature (« J. Vignaut »), au-dessous de la formule de commandement ducale. L’acte a été scellé sur une simple queue de parchemin, dont l’extrême bas seul est aujourd’hui détaché et perdu, avec le sceau de cire rouge, qui semble correspondre au troisième grand sceau du duc (M.-A. Nielen, Corpus des sceaux…, t. III, p. 235).
On pourrait tout d’abord penser que cet acte faisant mention d’une donation d’œuvres d’art, est à destination du duc de Guyenne. Or, le manque cruel de solennité dont il fait preuve permet de penser le contraire. Or, la raison de son appartenance au fond d’archives de la Sainte-Chapellede Bourges ne tient pas au hasard. En effet, il semblerait plutôt que le duc de Berry l’ait fait écrire afin de décharger l’institution religieuse de la responsabilité des deux tableaux d’or dont il fait don. C’est en cela que la clause de décharge, qu’on est en mesure de relever à la fin de l’acte, prend tout son sens. Par conséquent, il faut non pas voir dans cet acte la donation en soi, mais une décharge à destination de celui qui avait la garde de ces objets d’art : le trésorier de la Sainte-Chapellede Bourges.
Louis, duc de Guyenne et neveu de Jean, duc de Berry, est né le 22 janvier de l’année 1397 et attesté comme mort dès le 18 décembre 1415. En conséquence, l’acte émanant de la chancellerie ducale de Jean de Berry (1340-1416), intervient six mois seulement avant la mort du bénéficiaire des deux tableaux d’or. Comme le souligne Émilie Lebailly, le duc de Guyenne, « mécène » et « amateur d’art », est un prince pour lequel l’importance des collections d’œuvres est à rapprocher de celles de son grand-oncle, Jean de Berry. Un oncle qui aurait donc « influencé de manière non négligeable son petit-neveu dans le domaine [des commandes] artistiques ». En effet, les comptes de l’hôtel du duc de Guyenne témoignent, depuis 1409-1410, de l’intensité des échanges de tableaux, de pierreries etc.. entre les deux princes. Il faut donc entendre ce don, de deux « tableaux » d’or garnis de pierreries, comme l’expression de « l’émulation artistique » qui demeure entre eux (É. Lebailly, « Le dauphin Louis, duc de Guyenne, et les arts précieux, 1409-1415 », dans Bulletin Monumental, t. 163, 2005, n° 4, p. 357-374). Les deux « tableaux » d’or conservés au Trésor de la Sainte-Chapelle de Bourges, dont Jean de Berry fait don au duc de Guyenne, sont issus de transactions antérieures à l’acte étudié. La détention du premier (l.3-8) est la résultante d’un achat intervenu lors des étrennes du 1er janvier 1408 (a. st.), tandis que le second (l.8-16) est le produit d’un don de la reine à Jean de Berry en juin 1401. Depuis conservés à la Sainte-Chapelle de Bourges, ces dons et achats sont sous la garde d’Arnoul Belin, premier trésorier de l’institution. D’une considérable valeur, ces deux tableaux d’or, au-delà des représentations religieuses qu’ils comportent, sont rehaussés de nombreuses émeraudes, perles, rubis ou saphirs.