Donation de 14 livres de rente annuelle au chapitre de la Sainte-Chapelle de Bourges, 1411 (8 G 2657 [TSC 321]).
Dossier préparé par Romain Ribeiro, sous la direction d'Olivier Guyotjeannin et Olivier Matteoni.
1411, mai. – Bourges
Jean, fils de roi de France, duc de Berry et d’Auvergne, etc., donne de manière imprescriptible 14 livres parisis de rente annuelle à la Sainte-Chapelle de Bourges sur sa châtellenie de Gien, sous le contrôle du trésorier et du chapitre de ladite Sainte-Chapelle.
- La donation pieuse d'un "prince des fleurs de lys"
Prince apanagiste depuis 1356 et nommé lieutenant du roi en Languedoc à partir de 1381 – les territoires administrés sont d’ailleurs indiqués de manière exhaustive et hiérarchique dans la suscription de l’acte –, Jean de Berry joua un rôle prépondérant lorsque se manifestèrent les crises de folie de Charles VI, son neveu, en ayant part notamment au gouvernement du royaume, aux côtés de ses deux frères. C’est pourquoi l’historiographie insiste sur la proximité du type de pouvoir développé par le duc de Berry avec le pouvoir royal, comme en témoignent les institutions locales créées par Jean de Berry et conçues comme une démarque du modèle royal selon le principe de l’imitatio regis (Fr. Autrand, Jean de Berry : l'art et le pouvoir, Paris, 2000) : chancellerie ducale, Chambre des comptes, palais ducal, Sainte-Chapelle de Bourges. C’est d’ailleurs à cette dernière que la donation est ici adressée.
Datant de 1411, soit cinq ans avant la mort du duc, cet acte dénote manifestement une tonalité testamentaire, relatant une donation pieuse de Jean de Berry à la Sainte-Chapelle de Bourges, comme pour assurer le salut de son âme et, peut-être aussi, corriger l’image négative dont il se voyait revêtir par ces contemporains, à savoir celle d’un prince dépensier et piètre gouvernant, sans grand scrupule. Toutefois, cette piété affichée et revendiquée (« a laquele nous avons singuliere dévotion », l. 4) n’est pas nécessairement nouvelle pour le duc de Berry, qui décida l’édification de ladite chapelle dès 1392, choisit d’y être inhumé en 1403, la dota d’un trésor l’année suivante et la gratifia d’une charte de fondation à partir de 1405, à l’image de la charte de fondation de la Sainte-Chapelle de Paris octroyée par Saint Louis en 1248. Dès lors, il apparaît que cette imitatio regis a été portée à son paroxysme avec cette politique sacrale de fondation, dans le but notamment de légitimer sa présence, ainsi que celle de ses héritiers, dans les territoires qui lui ont échu.
D’un point de vue strictement diplomatique, cet acte, rédigé en français avec une écriture particulièrement lisible et soignée, bien que relativement serrée, et doté d’un sceau – entier et dans un bon état de conservation – de cire verte pendu sur lacs de soie verte, dénotant une valeur perpétuelle, se distingue par sa proximité avec les productions documentaires issues de l’administration royale, illustration de l’imitatio regis qui caractérise le gouvernement ducal. Le sceau correspond au troisième grand sceau du duc (M.-A. Nielen, Corpus des sceaux français au Moyen Âge. III. Les sceaux des reines et des enfants de France, Paris, 2011, p. 235).
En effet, l’appartenance filiale du duc de Berry à la famille royale se ressent dans la solennité qui emplit le discours, symbolisée par les amples hastes de la première ligne d’écriture, la lettrine légèrement stylisée, avec le recours à des cadelures, ainsi que la disposition de l’acte sur le parchemin, marquée par une justification rigoureuse et des marges importantes, rappelant la configuration des actes royaux. Qui plus est, une telle comparaison est rendue possible grâce à l’observation de la réglure qui a précédé la mise par écrit de l’acte : bien que les interlignes demeurent faiblement visibles du fait notamment des lignes de texte – on repère en effet 28 lignes de réglure pour 27 lignes de texte, la première ligne de réglure étant la ligne supérieure de la première ligne d’écriture – , les lignes extérieures, quant à elles, formant notamment les colonnes d’alinéa et de fin, délimitent clairement l’aire d’écriture, qui se retrouve au centre du parchemin (seule la marge droite est légèrement réduite).
De même, la souscription et la signature du secrétaire font fortement écho aux techniques scripturaires de la chancellerie royale, tout comme les nombreuses formulations (« a noz amez et feaulz gens de noz comptes », l.18 ; « que notre present don, transport, octroy et admortisation facent, sueffrent et laissent joïr et usez pleinement et paisiblement », l. 20-21) et marques d’authentification (mention du mois et de l’année, usage de la cire verte, notification d’enregistrement dans le repli de l’acte) qui s’apparentent à celles qu’il est possible de trouver dans les chartes royales. Il en va de même de cette résurgence toute royale de ne pas couper les mots en fin de ligne, ce qui amène ici, quelquefois, à un léger dépassement de la réglure définissant la marge de droite.
Enfin, le discours se voit graphiquement scandé par la mise en gras ou en majuscule de certaines mentions : c’est notamment le cas au tout début de l’acte, où le nom du duc est inscrit en majuscules, mais aussi au sein même de l’acte où les termes « Savoir » (introduction de la notification), « Si donnons » (introduction de la clause injonctive), « Et afin » (introduction de la corroboration) et « Donné » (introduction des dates de temps et de lieu) ressortent par leur mise en caractères gras. Dès lors, on note que ces traits graphiques aèrent le texte et en amènent une lecture partiellement hiérarchisée, toutes les parties n’étant pas délimitées de la sorte.